« Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l'audience comme la pénétrance d'une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l'Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences, car il n'est point vrai que l’œuvre de l'homme est finie, que nous n'avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde, qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde, mais l'œuvre de l’homme vient seulement de commencer et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre Terre éclairant la parcelle qu'a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. »
Ainsi parlait Aimé Césaire, le poète martiniquais, chantre de la négritude, dans ce qui est considéré comme son œuvre majeure, le célèbre Cahier d’un retour au pays natal.
L’homme qui a passé toute sa vie à rechercher ses racines africaines et à combattre pour la dignité des peuples africains et de tous les opprimés de par le monde s’est éteint le 17 avril dernier. Comme en hommage à ce grand penseur et militant engagé dans la revalorisation de l’Afrique, un fils du continent, Barack Hussein Obama, né d’un père kényan, remportait haut la main l’investiture de l’un des grands partis politiques américains, le Parti démocrate, pour la prochaine élection présidentielle américaine de novembre. Une première dans l’histoire de l’Amérique.
Obama a-t-il lu Césaire ? S’il ne l’a pas fait, comme on peut logiquement s’en douter – Obama n’ayant jamais été surpris comme un chantre de la négritude ou un défenseur des causes africaines –, il gagnerait à le faire. Surtout s’il compte se rendre en Afrique, en cas de victoire en novembre. Il pourrait ainsi faire un discours approprié et intelligent à l’université de Nairobi, qui fasse oublier l’insultant et approximatif discours prononcé l’an dernier par un chef d’État français totalement en déphasage avec les réalités de l’Afrique d’aujourd’hui.
Après avoir fait mordre la poussière à celle que l’on présentait comme la candidate favorite avant le début des primaires démocrates, Obama doit à présent parachever le travail en renvoyant le vieux McCain à sa nostalgie du Vietnam, qui ne présage rien de bon ni pour l’Amérique ni pour personne d’autre que lui. Obama doit gagner en novembre pour confondre ceux qui n’ont vu en lui, au départ, qu’un petit Noir venu amuser la galerie. Pratiquement tous les bien-pensants et tous les grands connaisseurs autoproclamés de la question raciale aux États-Unis se sont fourvoyés. Un éditorialiste d’une revue panafricaine avait même très doctement expliqué comment il était impossible qu’Obama prenne la place réservée (par qui ?) de longue date à Hillary Clinton, l’épouse de l’autre.
Il y a eu tellement de racistes sur le chemin d’Obama qu’il est impératif qu’il gagne. Pour obliger ces derniers à se rendre à l’évidence que, pour paraphraser Césaire, l’on nous a trop longtemps gavés de mensonges, et que le soleil brille pour tout le monde, éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule.
Il faut qu’Obama s’installe à la Maison-Blanche. Il a la capacité de changer l’Amérique, de la débarrasser des Bush et affidés, pour la réconcilier avec elle-même et avec le monde. Le destin d’Obama est de réparer les immenses dégâts causés par huit années de bushisme médiocre et belliqueux. De mettre un terme à l’aventurisme militaire américain en Irak qui, au lieu de répandre la démocratie dans un grand Moyen-Orient utopique, a déstabilisé durablement la région, favorisant l’intégrisme et le terrorisme. D’arrêter les égoïsmes américains qui occasionnent tant de dommages collatéraux en Afrique et ailleurs.
Mais pour réussir ce changement, thème fort de sa campagne, Obama doit rester vigilant, car les racistes n’ont pas encore totalement abdiqué. Il devra se méfier des faux conseillers prompts à lui faire tenir des discours rompant avec la soif de changement qui explique son succès aux primaires. Il doit avoir le courage de garder ses opinions, y compris sur la cause palestinienne, d’autant plus qu’il s’agit d’une cause juste. Il a prouvé, avec le discours de Philadelphie sur la question raciale en Amérique, qu’il pouvait prendre l’initiative de débattre de questions pendant longtemps taboues. Il doit pouvoir rester ferme dans ses convictions et, surtout, être fier de ses origines, et en faire une valeur ajoutée. Césaire avait tiré de l’insulte « petit nègre », dont on l’affublait dans les rues de Paris, une motivation supplémentaire pour revendiquer fièrement sa négritude et l’inscrire comme un mouvement positif.
La victoire probable d’Obama à la présidentielle américaine ne sera un « moment décisif » que si le candidat gardait la fierté de ses origines africaines. Ainsi les Africains noirs qui se font appeler partout en Occident Mamadou ou Camara, ou par des noms de footballeurs et autres sportifs noirs, pourront lancer à ces racistes d’un autre âge : ne nous appelez plus Mamadou. Appelez-nous Obama. Personne ne doit pouvoir nous prendre notre président Obama. Au début, quand peu croyait en lui, on l’appelait le candidat noir, pour le dévaloriser. Puis, quand il a remporté les primaires, on l’a appelé le candidat métis. Quand Obama se rapprochera du Bureau ovale, comment l’appellera-t-on ?
Une chose est sûre : qu’au final il l’emporte ou pas, pour les Africains, Obama a déjà gagné. Les Africains-Américains désirant retrouver leurs racines africaines n’auront plus à se rendre forcément à Gorée, dans cette fameuse Maison des esclaves où ne s’est déroulée aucune des scènes de voyage sans retour des Noirs vers l’Amérique que racontait son loquace conservateur sénégalais. Le prochain lieu de pèlerinage se trouve sur les rivages du lac Victoria, au cœur du continent africain et du Kenya, dans le village de Nyangoma où attend l’authentique grand-mère Sarah Hussein Onyango Obama. Mémé Onyango, merci de nous accueillir, lors de notre retour au pays natal. L’Afrique, on vous l’a dit, est l’avenir du monde.
Par Valentin Mbougueng
Source: Afrique-Asie