Lyadish Ahmed
Petit guide-âne à l’usage des néo-colons
C’est avec une saine colère que je voudrais rappeler ici, à tous les néo-colons qui se sont arrogés le droit de substituer leurs désirs aux légitimes aspirations du peuple tchadiens, que malgré notre extrême pauvreté, nous sommes un peuple libre dont les droits et devoirs sont garantis par une Constitution qui n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, une Constitution de second rang dans une quelconque hiérarchie des Constitutions d’Etats dont l’existence, si l’on parvient à la démontrer, n’en serait pas moins arbitraire.
Est-il besoin de rappeler que, depuis près de 20 ans, nous vivons dans une des dictatures les plus répressives au monde où le simple droit de manifester pour exprimer son mécontentement est dénié au peuple et où sévissent l’injustice qui affaiblit les plus vulnérables, la corruption qui plonge les plus pauvres dans le dénuement le plus total, les rendant incapables de se soigner lorsqu’ils sont malades ou simplement incapables de nourrir et d’éduquer convenablement leurs enfants ?
Alors de quel droit, à chaque fois que le peuple tchadien manifeste son légitime désir de changement, la France, par la voix de son étrange ministre des affaires étrangères (des affaires tchadiennes est certainement le terme approprié), se précipite-t-elle au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer une condamnation de nos actions ? Dans le même ordre d’idée, de quel droit les Etats-Unis pensent-ils pouvoir donner des injonctions au peuple tchadien dans l’intention de l’obliger à composer avec un régime dont la politique est essentiellement fondée sur la répression, la corruption, les assassinats et la disparition forcée des opposants ?
Ce que feint d’ignorer l’étrange ministre français des affaires étrangères dont l’argument principal, pour défendre le régime de N’Djamena, se limite à invoquer un lugubre accord de coopération militaire entre la France et le Tchad (ou dans un registre plus paternaliste, la mise en œuvre de l’accord du 13 août 2007), c’est le droit que nous reconnaît notre Constitution de désobéir à tout régime politique au pouvoir qui, non seulement ne nous garantit plus la sécurité minimale pour nos libertés, nos biens et nos vies, mais surtout porte lui-même les atteintes les plus graves à notre intégrité physique et à nos droits fondamentaux de citoyens. Partant, c’est à un véritable « devoir de résister » que nous convie notre Constitution.
Si le choix de l’appellation « Union des Forces pour la Résistance » par les opposants armés est fortuit, il n’en demeure pas moins vrai qu’au-delà même des considérations politiciennes, notre Constitution proclame expressément, en son Préambule, « notre droit et notre devoir de résister et de désobéir à tout individu ou groupe d’individus, à tout corps d’Etat qui prendrait le pouvoir par la force ou l’exercerait en violation de la Constitution ».
Une lecture profane du texte conduirait certainement à opposer aux opposants armés cette disposition constitutionnelle dans la mesure où elle prohibe clairement l’accession à la magistrature suprême par les armes, de par sa référence à « la force ». Mais les juristes qui ont rédigé cette Constitution ont fait aussi leurs armes ailleurs qu’à Ardep-Djoumal. C’est où il faut rappeler à l’étrange ministre français des affaires étrangères que le même texte constitutionnel nous reconnaît « le droit » et (surtout) fait peser sur nous « le devoir » « de résister… à tout individu ou groupe d’individus, à tout corps d’Etat… qui exercerait (le pouvoir) en violation de la… Constitution ».
Il est d’autant plus essentiel de souligner que l’expression « en violation de la présente Constitution » n’est pas qu’une mention théorique, car le préambule de la Constitution donne des indications précises sur ce qui caractérise sa violation. Ainsi, viole la Constitution « tout régime dont la politique se fonderait sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le népotisme, le clanisme, le tribalisme, le confessionnalisme et la confiscation du pouvoir ». Or, qui oserait affirmer sans se ridiculiser que ce ne sont pas là les caractéristiques fondamentales du régime de N’Djamena dont notre Constitution nous autorise à nous en débarrasser ?
Sauf à conférer abusivement aux accords des 13 août (entre le gouvernement et l’opposition démocratique) et 25 octobre 2007 (entre le gouvernement et l’opposition armée) ou encore au lugubre accord de coopération militaire (entre la France et le Tchad) une force normative supérieure à celle de la Constitution, il est difficile de nous convaincre de ce que notre « devoir de résister » s’inscrit dans l’illégalité.
« Le devoir de résister » est un droit de valeur constitutionnelle reconnu au peuple tchadien dans son ensemble et aucune forme particulière pour son exercice n’est assignée aux individus ou associations d’individus. Ainsi, nous appartient-il de définir nous-mêmes les moyens de résistance. Que cette résistance s’exerce par la voie des armes ou par une « coexistence pacifique », ce serait toujours en application stricte de la Constitution qui proclame « le devoir de résister ». Ce n’est donc ni à la France ni aux Etats-Unis de nous indiquer la voie à suivre. Si notre Constitution réaffirme « notre volonté de coopérer dans la paix et l’amitié avec les peuples » et que dans ce cadre nous pouvons suivre les judicieux conseils des pays amis pour régler un conflit intérieur par la voie de la négociation politique, il importe de souligner que cette même Constitution subordonne « la coopération et l’amitié » à un « respect mutuel » et au principe de la « non-ingérence ». Stop !
Voilà quelques principes essentiels rapidement rappelés et qui devraient, je l’espère, conduire à une interprétation plus mesurée de la seule « forme de résistance » qui reste aux Tchadiens, à savoir la lutte armée imposée par un régime politique dont les pratiques totalitaires ne nous permettent plus de vivre dignement dans notre propre pays. Le souci de préserver des vies humaines au Darfour dont se prévalent certains pays pour s’ingérer indirectement dans nos affaires intérieures ne doit pas occulter la dramatique situation dans laquelle vivent près de dix millions de Tchadiens.
Lyadish Ahmed
Paris, le 13 mai 2009