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Une revue de détail des grandes transformations géopolitiques en cours après la résolution de la crise géorgienne. D’un reconditionnement de l’Europe dépendra sans doute la stabilisation du monde dans une interaction plus sereine des plaques tectoniques de l’humanité, loin des tentatives hégémoniques des États-Unis.

Croire que l’histoire du monde va reprendre son cours après cette crise comme si de rien n’était, serait faire preuve d’une grande naïveté. La Russie a montré de belle manière qu’elle existe et que la période pendant laquelle on pouvait lui faire impunément des pieds de nez est bel et bien révolue. Après avoir consciencieusement aboyé comme à leur accoutumée, les États-Unis aux pieds nickelés vont rentrer sagement dans leur niche et chercher un autre moyen pour faire élire McCain en novembre. Après on verra.

La crise géorgienne va se terminer par l’indépendance de l’Abkhazie et celle de l’Ossétie du Sud, laquelle fusionnera avec sa sœur du Nord, dont Staline l’avait séparée en 1922. L’opposition géorgienne va sans doute éliminer l’américain Saakachvili d’une manière ou d’une autre (sa famille se trouve d’ailleurs déjà en Ukraine sous la protection du président Viktor Iouchtchenko, son allié), et retrouver une relation amicale avec la Russie. Enfin l’Otan verra sa popularité baisser fortement après avoir révélé son incapacité à résoudre les problèmes du monde [une fois de plus], et par suite son inutilité, sinon sa nocivité.

Après cette crise, les quatre plaques tectoniques majeures de la planète, Europe, Russie, Chine et États-Unis pourraient évoluer de la manière suivante :

L’EUROPE [Union européenne]

En suscitant des déclarations contradictoires de la part des chefs des États qui composent l’Union européenne, la crise a mis en évidence le profond défaut d’unité de cette dernière. L’absence de consensus que tous ont pu constater semble procéder de deux groupes de facteurs :

- l’hétérogénéité du passé historique des membres de l’Union

Il existe une hostilité résiduelle contre la Russie de la part des anciens satellites de l’URSS. Leurs populations n’ont pas encore réussi à tourner la page. Il leur faudra encore une génération pour y parvenir. À leur ostracisme envers la Russie correspond une mythification de l’« Amérique », qu’ils ont créée et entretenue pendant les quarante-cinq ans de leur sujétion. Ils n’ont pas encore découvert et accepté la réalité objective de l’impérialisme égocentrique des États-Unis. Ce sont là deux aspects inséparables l’un de l’autre.

À l’inverse, les membres fondateurs de l’Union, et plus particulièrement leurs opinions publiques, sont parfaitement conscients de la malfaisance des États-Unis pour le monde. Leurs élites politiques ont cependant conservé une mentalité « atlantique » qui les empêche de rompre nettement leurs attaches avec Washington, par manque de confiance en leurs propres forces. Ce manque de confiance résulte lui-même du défaut d’unité et donc de solidité de l’ensemble politique qu’ils ont voulu construire, et pour l’édification duquel il faut reconnaître que des progrès considérables ont été accomplis.

Au contraire, les opinions publiques ont parfaitement intégré cette réalité et désapprouvent le suivisme de leurs gouvernements vis-à-vis des États-Unis. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les articles des bloggeurs et les commentaires de leurs lecteurs. Et ceci est aussi vrai des lecteurs de droite que des lecteurs de gauche. Voir sur ce point mon précédent article.

- les objectifs secondaires de l’Union

La construction de l’Union a essentiellement visé la normalisation du fonctionnement administratif des États de l’Union, en délaissant les fondements autrement plus solides que sont les Affaires étrangères et la Défense. La raison en est précisément aussi le manque d’unité historique, lequel a entraîné l’absence d’une unité de destin. C’est parce qu’instinctivement les politiciens comprenaient les difficultés de cette problématique qu’ils ont sciemment évité les vraies fondations de l’Union pour se consacrer à ses seuls aspects administratifs.

C’est pourquoi une analyse plus approfondie de leur part devrait pouvoir leur faire reconnaître l’erreur qu’a constituée la trop grande rapidité de l’extension de l’aire géographique de l’Union, notamment celle qui fut dirigée vers les anciens satellites soviétiques, sous la pression des États-Uniens pour des raisons multiples. C’est notamment pour cette raison qu’elle cale sur l’intégration de la Turquie [que les États-Uniens soutiennent aussi], car elle a maintenant conscience de cette erreur.

En ce sens, on peut supposer que les pressions états-uniennes avaient pour motif d’affaiblir l’Europe et d’empêcher son rapprochement de la Russie, conscients qu’ils étaient sans doute du fait que les États de l’Est européen feraient tout pour s’opposer à un tel rapprochement.

Comment faire maintenant pour sortir de cette ornière ?

Un nécessaire reconditionnement de l’Europe

Dans l’organisation de l’Europe actuelle, existent plusieurs strates politiques, chacune associant un nombre variable de pays selon les objectifs poursuivis. Cela entraîne une grande souplesse dans l’adhésion des partenaires, mais aussi une complexité de fonctionnement qui nuit à l’efficacité globale d’un tel système.

Ce que je suggère, malgré tout, est d’ajouter au-dessus de cette pyramide d’organismes disparates [qu’il faudra bien conserver pendant un certain temps], une strate plus spécifiquement politique et stratégique, dont l’unité de vue, de décision et d’action puisse lui procurer une détermination, une force, une vitesse de réaction et par suite une efficacité considérablement supérieures à celles de l’Union européenne telle qu’elle existe aujourd’hui.

Cette strate politique supplémentaire, fédéraliste et au-dessus des autres, que l’on pourrait dénommer les États-Unis d’Europe (EUE) ne grouperait que les États fondateurs de la première étape de l’Europe, l’Allemagne, l’ex-Benelux [Belgique, Luxembourg et Pays-Bas], la France et l’Italie. Pourraient se joindre à ce groupe quelques autres États de l’Europe de l’Ouest susceptibles de partager la même volonté d’union, comme l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, et peut-être la Hongrie, la Slovénie et la Croatie. Le critère d’entrée dans l’EUE serait l’acceptation d’abandonner leur souveraineté en matière d’Affaires étrangères, de Défense, de Finances et de Commerce extérieur, à un gouvernement central sous l’autorité d’un président élu pour quatre ou cinq ans, et contrôlé par deux assemblées : un Sénat représentant les nations et une assemblée représentant les populations.

Bien entendu, dans cette nouvelle structure, il ne devrait plus y avoir ni concessions ni exceptions ni statuts particuliers, ce dont l’UE n’a que trop souffert jusqu’ici. Les États n’acceptant pas ces conditions seraient tout simplement priés de rester à l’extérieur du groupe, sans que celui-ci les attende pour commencer à agir. Bien entendu, les décisions du groupe seraient désormais prises à la majorité simple.
Alors l’Europe ne se trouverait plus dans un camp ou dans un autre. Elle serait enfin devenue elle-même, c’est-à-dire indépendante, car elle sortirait bien entendu de l’Otan, qui n’a plus de sens depuis l’effondrement de l’URSS. Cette politique aurait immédiatement pour effet de supprimer la crispation récurrente de la Russie et la ramènerait progressivement dans le giron européen.

Concrètement, seraient écartés les anciens satellites de l’URSS, notamment la Pologne, empêcheur perpétuel de tourner en rond, et bien entendu la Grande-Bretagne, qui s’exclurait d’elle-même car elle n’a pas encore compris que son destin a cessé d’être atlantique, à moins qu’entre-temps une indépendance de l’Écosse ne la jette dans les bras de l’Europe dans un grand élan de lucidité. Au fil du temps, tôt ou tard et l’un après l’autre, je suis persuadé que tous les États laissés pour compte viendraient cogner à la porte du groupe fondateur en acceptant les règles communes.

Cependant, pour qu’une telle initiative ait des chances de succès, il serait indispensable qu’un homme suffisamment fort et décidé se lève pour l’initier et la défendre avec vigueur. Je pense qu’un homme comme Sarkozy pourrait faire l’affaire.

J’ai observé son attitude pendant la crise géorgienne, et j’ai admiré sa réserve. Contrairement à Bush ou Merkel, il n’a pointé du doigt aucune responsabilité particulière. Il a su rester à l’écart et a œuvré seulement pour faire arrêter la violence. Il n’a pas aboyé pour que les troupes russes quittent la Géorgie plus vite qu’il n’était possible, en comprenant, sans le dire, que les Russes veuillent désarmer totalement le pays avant toute chose, pour éviter le retour du dictateur pro-américain qu’est Saakachvili. C’est là une qualité qui siérait parfaitement à un réel président d’une Europe reconditionnée.

LA RUSSIE

À l’égard de la Russie comme de la Chine, l’attitude européenne a toujours été calquée avec soumission sur celle des États-Unis, sans que les Européens ne se rendent bien compte qu’ils ne faisaient en cela que se mettre au service d’un « souverain » hégémonique, égocentrique et prétentieux. Sous prétention de démocratie, argument central de la propagande états-unienne que toutes les attitudes de ce pays ont successivement travestie au cours des crises passées, l’Europe s’est toujours laissé enchaîner par une politique hors de tout réalisme.

Pourtant, l’action des États-Unis en Russie, sous les règnes de Gorbatchev et d’Eltsine, a clairement conduit ce pays à la faillite et au pillage pendant plusieurs années, sous prétexte de démocratie et de libre marché. Mais l’Europe ne l’a ni vu ni compris, et a laissé faire. Si la Russie se trouvait face à un désastre économique profond au moment où Poutine l’a reçue des mains d’Eltsine, c’est bien parce que les États-Unis avaient entrepris de la détruire économiquement et socialement pour éliminer définitivement un rival potentiel. Le seul fait que la Chine, partant des mêmes prémices, ait réussi son émergence en quelques années sans le secours des « conseillers américains » vient prouver les faits. Pendant les dix années, de 1989 à 1999, pendant lesquelles les États-Unis ont « conseillé » Eltsine, la production industrielle a été divisée par trois, le PIB par deux, et le revenu par habitant a baissé de 75 % (Susbielle – Les royaumes combattants – First - 2008). Le PIB russe n’a rattrapé celui de 1990 qu’en janvier 2007 et l’économie russe croît actuellement de 7 % par an. Il a fallu à Poutine huit années pour réussir la renaissance de son pays détruit par les États-Unis. Sachant cela, devons-nous vraiment nous étonner de l’antiaméricanisme de Poutine. Il serait préférable que nous imitions sa lucidité.

Poutine avait donc recueilli une nation exsangue. Il a sans doute eu recours à des méthodes que certains ont jugé intelligent de dénoncer, mais il a réussi. S’il est devenu un héros national pour la plupart de ses concitoyens, c’est à cause de cette réussite, en dépit des critiques de l’Occident et de quelques groupuscules russes, naïvement troublés par un modèle occidental en voie de décalcification continue.

En réalité, Poutine est un patriote russe, qui se serait tourné vers l’Europe si les pays de l’Ouest européen, inféodés à Washington, avaient eu l’intelligence de comprendre que leur véritable adversaire était les États-Unis et non la Russie. Ce sont les États-Unis que l’Europe devrait donc à présent isoler, et non la Russie. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de constater que ce sont les politiciens et les médias qui sont subjugués par les États-Unis et non l’opinion publique, beaucoup plus clairvoyante [cf. Opinion publique contre opinion du pouvoir politique].

À plus long terme, une intégration de la Russie ne serait plus alors impossible à envisager, et l’Europe pourrait s’étendre de Brest à Vladivostok comme l’avait espéré le général de Gaulle, équilibrant ainsi la puissance de la Chine, laquelle ne serait d’ailleurs pas devenue pour autant une ennemie. Entre-temps, après avoir rongé leurs freins, les États-Unis seraient peut-être devenus un peu plus fréquentables.

LA CHINE

Après les JO de Pékin, le Tibet sera un peu mis de côté devant la réussite de cette manifestation et la ponctualité de son déroulement, bien que les médias occidentaux n’aient eu de cesse, la veille encore de l’ouverture des Jeux, de faire naître toutes sortes d’inquiétudes sur le smog, la circulation, l’alimentation, que sais-je encore ? Comme pour la Russie, on va bien être obligés de se rendre compte qu’après la vieille Europe de Rumsfeld, on va bientôt pouvoir parler de la vieille Amérique de McCain. L’Europe va-t-elle enfin arrêter de se boucher la vue avec Manhattan, dont les gratte-ciels tombent les uns après les autres dans l’escarcelle des milliardaires arabo-asiatiques ?

Mais on reviendra rapidement au business, en se rendant compte que la crise financière états-unienne aura assez peu marqué l’économie chinoise.

L’enrichissement de la Chine, commencé au bord de la mer, se poursuit à une vitesse rapide vers l’intérieur du continent. Les médias nous parlent sans cesse des paysans chinois, nombreux et pauvres. Mais ils ne parlent jamais « chiffres ».

Lorsque Deng Xiaoping a lancé la nouvelle économie chinoise et annoncé l’ouverture des deux premières zones économiques spéciales (ZES) qui a marqué le démarrage de l’industrialisation de la Chine, il n’y avait pas plus de 100 000 Chinois dans les villes et autour d’1 million dans les zones rurales. En 2008, il y a aux alentours de 600 000 Chinois dans les villes, jouissant d’une économie moderne, et approximativement 700 000 ruraux vivant de l’agriculture. Le sens de cette répartition s’accélère d’année en année et l’économie intègre de plus en plus vite des technologies de pointe qui rivalisent à présent avec celles de l’Occident.

La Chine n’a pas à craindre de réduction sévère de ses exportations, car elle possède encore un arrière-pays important qui absorbe petit à petit tous les excédents de son industrie. Le revenu de ses paysans a été multiplié par quatre en quelques années, et ce mouvement se poursuit sans obstacle. La croissance de ce grand pays continuera donc à vive allure. Si ralentissement il y avait, il est peu vraisemblable que son taux de croissance annuel tombe en dessous de 8 %.

LES ÉTATS-UNIS

Comme je l’ai souligné dans quelques autres articles, les États-Uniens seront bien obligés de continuer à acheter en Chine, ou ailleurs en Asie, les produits qu’eux ne produisent plus ou qui sont moins chers que ceux produits par eux. L’inégalité qui continue de croître aux États-Unis conduit en effet les plus pauvres à chercher les produits les moins chers. Si les États-Unis mettaient en pratique leurs rêves protectionnistes, ils provoqueraient chez eux une crise sociale majeure. Il leur est donc impossible d’enrayer leur descente aux enfers du déficit commercial, qui tend à faire de leur dollar une véritable peau de chagrin.

Vont-ils comprendre que c’est leur système économique, confortablement assis sur des doctrines dépassées, qui fonde leur propension au déclin ? C’est peu probable, parce que ce sont précisément ces doctrines qui leur ont permis, jusqu’à la fin du siècle dernier, de connaître l’incontestable développement qui a été le leur. Leur esprit, sensible au dogmatisme, ne leur permet pas une remise en question rapide de leurs façons de faire actuelles. Un peuple, dont 95 % des habitants croient encore à l’existence d’un ectoplasme créateur, qui privilégie le phantasme du créationnisme (intelligent design) à la poursuite des travaux scientifiques issus du darwinisme, et dont un habitant sur trois ou quatre est obèse, ne peut s’attendre à rester la lumière du monde.

Nous allons donc assister à une décroissance continue de ce pays, à travers des hauts et des bas, bien entendu, car aucune tendance n’est strictement linéaire. Le moindre signe un peu positif fait ici monter la bourse en asperge, mais, par contre, les signes négatifs ne sont pris en compte qu’avec lenteur. Les États-Uniens ne peuvent imaginer qu’ils se trouvent sur une pente descendante. Pourtant, l’accumulation incessante de leurs dettes devrait les alerter. Déjà, de nombreuses entreprises étrangères et banques centrales se débarrassent peu à peu de leurs dollars. Les États-Uniens pensent que les fonds souverains les financent parce qu’ils sont riches, alors que la vraie raison est leur désir de se débarrasser le plus vite possible de leurs réserves en dollars. Mieux vaut en effet un gratte-ciel à Manhattan, même s’il peut perdre de sa valeur, qu’un tas de dollar en papier monnaie dont la valeur peut chuter de manière imprévisible et pour une durée incertaine.

Cette tendance à l’appauvrissement, vraisemblablement inéluctable tant qu’elle n’est pas clairement perçue par les intéressés, réduira donc progressivement l’énergie que ce pays consacre bien inutilement à maintenir un interventionnisme hégémonique têtu.

Mais comme je l’ai écrit, il y aura des hauts et des bas. De courtes périodes meilleures pourront faire croire à un retour en grâce de la fortune. Ce ne seront pourtant que des sursis sans suite.

Pour conclure, il est important de souligner que les États-Unis sont victimes d’une mythologisation de l’Amérique et du dollar, à la fois par les étrangers et par eux-mêmes. Elle a parfaitement fonctionné jusqu’ici, mais tout mythe finit par s’étioler devant la réalité des faits, et celle-ci est en train de gagner. Il suffira d’attendre pour le constater.

@ André Serra http://andreserra.blogauteurs.net/blog/
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