A vendre, l'album souvenir des Kadhafi - par Vincent Hugeux

A Tripoli, les photos de famille du clan sont proposées au plus offrant. Où l'on découvre que l'envoyé spécial de L'Express n'aurait jamais pu bosser pour un magazine people... 

Le trio a déboulé à l'Hôtel Corinthia vers 23H00. Flanqués d'un mentor prénommé Feras, fraichement rentré de son exil américain, les deux jeunes Tripolitains n'arrivent pas les mains vides: dans leur besace de toile, une énorme liasse de photos raflées à la faveur de la chute de Bab al-Aziziya, le fortin du caïd de la défunte Jamahiriya. Quelques heures auparavant, ils avaient, par l'entremise d'un homme d'affaires de la place, tenté d'appâter l'hypothétique chaland: "Nous détenons des images exclusives de la tribu Kadhafi dans l'intimité." Voyons cela. 

Etalés sur un canapé cramoisi, un peu à l'écart de l'effervescence qui enfièvre le lobby du palace, ces clichés semblent échappés en vrac d'un album de famille. Avec, dans le rôle principal, le Guide déchu en patriarche attentionné. Mouammar en survêtement rouge, allongé sur une natte et cajolant un bambin frisé. Mouammar à la campagne. Mouammar en tenue bédouine sous la tente... Mais aussi Safiya, sa seconde épouse, Seif al-Islam, le boutefeu au crâne poli, Saadi le footeux, Hannibal le soudard, Khamis le prétorien, patron de la 32e Brigade maintes fois donné pour mort ou Moatassim. Et, plus inattendu, Hana, "fille adoptive" du couple, prétendument tuée lors de raids aériens ordonnés en 1986 par Ronald Reagan. La propagande du régime l'avait alors élevée au rang de martyre. Pensez donc: une innocente gamine fauchée par les "chiens" colonialistes... 

Aïcha toute en voiles, en tulle et en blondeur

Voici notre miraculée, plutôt replète, en treillis de combat, ou posant entre papa et maman à l'occasion d'un somptueux dîner d'anniversaire, voire lovée sur un sofa entre le colonel et la soeur aînée Aîcha. Laquelle Aicha figure aussi sur une série qui mériterait l'oscar du kitsch oriental. On la voit toute en voiles, en tulle et en blondeur, lors de son banquet de mariage, assise au côté de son époux sur un trône dont le dossier s'apparente à un immense coquillage enjolivé à la feuille d'or. Union féconde semble-t-il : l'ex-"Claudia Schiffer libyenne" -à propos de clichés, Dieu que cette clique aura inspiré de lieux communs journalistiques, à commencer par l'impérissable "bouillant colonel"...- vient paraît-il de donner naissance en son refuge algérien à une fille. 

Par curiosité, on s'enquiert du prix de vente d'une sélection de dix photos. "Dîtes-nous combien vous en offrez, esquivent Feras et ses acolytes. Vous savez, on ne connaît pas les usages..." Nos amis apprennent vite. Quinze minutes après ce préambule, ils réclamaient plus d'un millier de dollars pour le tout, suggérant au passage "être en contact avec des magazines américains". En clair, c'est à prendre ou à laisser. On laissera, bien sûr ; ce dont, du moins osé-je l'espérer, le contrôle de gestion de L'Express nous saura gré à l'heure de l'examen de la note de frais...

source: lexpress.fr