Carton rouge pour le gentil Yoann Gourcuff (8).
L’ultime image désolante – sur le plan sportif – d’une équipe de France qui aura sombré corps et âme.
Français et Sud-Africains, unis dans la détresse et la médiocrité, quittent la compétition dès le premier tour. Double fiasco dans une ambiance crépusculaire
Bloemfontein. Littéralement, la «fontaine des fleurs». Parfait pour un enterrement. Il y en eut deux pour le même prix, au terme d’un France-Afrique du Sud crépusculaire. Au bout du compte, une couronne sans éclat pour les Bafana Bafana, vainqueurs 2-1 mais éliminés à la différence de buts et à distance par le Mexique; et une gerbe ultime pour les Bleus de Raymond Domenech, par eux-mêmes désespérés, jusqu’à la nausée.
«Le premier mot qui me vient, c’est la tristesse», dira le désormais ex-sélectionneur national, juste après son 79e et dernier match dans le costume – record de Michel Hidalgo (75) battu. «Je suis dans la douleur et la détresse, comme les supporters, comme tous ceux qui, comme nous, aiment l’équipe de France et qui auraient voulu que le rêve se réalise.» Tout cela se termine dans une vieille tente en plastoche, façon baraque à frites. Dehors, lesdits supporters hurlent à la honte. Et les vuvuzelas sud-africaines résonnent comme les trompettes de la mort.
Mardi en fin d’après-midi à Bloemfontein, il y avait deux rêves. Celui des Bleus, alignés dans une configuration tactique inédite (le 1-1-1-1-1-1-1-1-1-1-1) et contraints à s’imposer sur une marge confortable, s’est évanoui très vite. Vingtième minute: le gardien Hugo Lloris se troue sur un corner et Bongani Khumalo ouvre le score. Vingt-septième: Yoann Gourcuff, de retour «en grâce», flanque son coude dans la figure de Macbeth Sibaya et laisse ses partenaires à dix. Trente-septième: la défense hexagonale boit la tasse et Katlego Mphela en profite pour doubler la mise. Amen.
De quoi alimenter le second rêve du jour, celui des Bafana Bafana. Parce qu’à 2-0 à la mi-temps, sachant que l’Uruguay a pris l’avantage devant le Mexique, il ne reste que deux banderilles à planter dans la défense française pour provoquer l’impossible. Tout le monde y croit et si le tir de Mphela avait atterri ailleurs que sur le poteau de Lloris (51e), qui sait… Une noyade totale des Bleus aurait pu constituer une inespérée bouée de secours. Mais non. Un brin revitalisée par les entrées de Florent Malouda – il réduira le score à la 70e – et de Thierry Henry, la France réalise sa meilleure mi-temps du tournoi. Et l’Afrique du Sud, décidément trop médiocre, devient le premier pays organisateur à quitter sa Coupe du monde dès la phase liminaire.
Double enterrement à Bloemfontein, donc. «J’ai été très heureux de travailler avec les garçons», dira Carlos Alberto Parreira, les larmes aux yeux. L’unique génie du technicien brésilien aura été de parvenir à persuader tout un peuple qu’il pouvait compter sur une équipe valable. Alors que non. Son homologue et lui réussiront même, histoire d’égayer la chute, à se faire la gueule: «Il a refusé de me serrer la main parce que, selon lui, j’avais dit du mal de la France après sa qualification contre l’Eire, mais je ne m’en souviens pas», tentera d’expliquer Parreira.
Revenons aux choses sérieuses. Raymond Domenech, seul, si seul à l’heure de rédiger l’épitaphe: «C’est la fin d’une aventure de six ans, exceptionnelle dans les deux sens, avec des bons moments et des plus difficiles pour tout le monde.» Un à un, le sélectionneur le plus mal-aimé de l’histoire a serré la main de ses joueurs à leur sortie du terrain. Pourquoi? «C’était le seul moment où je pouvais les saluer parce qu’après, chacun se disperse avec ses obligations. Je ne leur ai rien dit, je voulais juste les regarder dans les yeux pour leur montrer que j’ai compris ce qu’eux aussi ont vécu.»
Un cauchemar, tout simplement, avec eux-mêmes dans le rôle des fantômes. «Maintenant, il va falloir être dignes, assumer, prendre sur nos épaules la déception du public et de l’ensemble du football français, qui a beaucoup souffert», reprend Domenech, manifestement éprouvé – on le serait à moins. L’ensemble du football français, c’est aussi les sponsors et partenaires, les médias, qui perdent beaucoup d’argent dans l’aventure. Et l’honneur, a-t-il un prix? Le rachat, c’est combien? «Nous renoncerons à toutes nos primes», annonce Patrice Evra, chevaleresque.
Raymond Domenech aimerait s’enfuir. Une dernière question l’en empêche, assez vacharde: comment envisagez-vous votre retour au pays? «Depuis longtemps, je ne me suis pas préoccupé de mon propre sort», répond le Lyonnais. «Je me soucie de l’avenir de l’équipe de France, dont je deviens maintenant le premier supporter. Je serais le premier heureux à ce que les choses se remettent en place. Je souhaite bonne chance et beaucoup de bonheur à mon successeur [Laurent Blanc]. Je souhaite une longue vie à l’équipe de France.»
Voilà une excellente façon de mettre un terme à la cérémonie. L’homme qui a tant cristallisé la haine ces dernières années se lève et prend congé. Il vient de livrer sa dernière conférence de presse d’après-match à la tête de l’institution tricolore. A la tristesse, forcément, se mêle le soulagement. Parce que Raymond Domenech pourra enfin reposer en paix.